Imagination

Mais dans cette conscience intime du temps, éminemment dans son rapport à l’avenir, l’intentionnalité est multimodale et implique aussi bien l’imagination que la perception ou la signification, ces trois modes se recouvrant de façon à chaque fois variée dans les actes de conscience.

Le mode imaginatif de l’intentionnalité, prenant lui-même des formes diverses et complexes (conscience d’image, présentifications etc.), ouvre au rôle – à même un présent pétri d’absence – de ce qui n’est pas donné en chair et en os et ainsi complexifie le présent, tantôt participant à sa constitution, tantôt la mettant potentiellement en crise. Ainsi, la crise ou la critique du présent que « joue » l’imagination se situe à la fois dans une co-originarité avec la perception du présent et au-delà de celui-ci (deuxième axe de recherche).

Partant de ce principe de co-originarité constituante et critique, une enquête archéologique sera menée sur les différentes philosophies modernes de l’imagination pour explorer les modalités selon lesquelles elles mettent en œuvre ou étouffent la puissance critique de cette co-originarité.

De nouveau, on mobilisera le schème continuité-discontinuité pour établir dans un premier temps une cartographie critique de la mise en œuvre par les théories de l’imagination d’une telle dialectique ou de la neutralisation de cette dialectique par distension entre les termes.

L’enquête débutera avec la Renaissance pour se projeter jusqu’au XXème siècle, sans prétendre, pour autant, à une illusoire exhaustivité. On s’attachera à quelques moments phares de l’histoire complexe de la philosophie moderne de l’imagination qui permettront de mettre à l’épreuve l’hypothèse sur l’opérationnalité du schème.

Au-delà de cette indispensable cartographie critique, on portera une attention toute particulière à deux pensées de la co-originarité de la perception et de l’imagination qui paraissent pousser au plus loin la puissance critique de la projection imaginative en articulant continuité et discontinuité : on convoquera la pensée de Gaston Bachelard pour montrer comment, à l’opposé du cliché qui voudrait que celle-ci fût irréductiblement binaire (philosophie des sciences versus poétique des images), la philosophie de l’imagination de Bachelard naît de ses investigations épistémologiques mêmes et surtout de la prise de conscience du fait que l’on ne peut comprendre l’acte scientifique que dans sa dimension historique, entre continuité et discontinuité.

La pensée de l’imagination se déploie alors à partir du schème continuité-discontinuité investi par son épistémologie historique. Dans le prolongement d’une telle investigation, on sera amené à faire droit également au « discontinuisme » épistémologique d’un Foucault. Le second auteur qui sera privilégié n’est autre que Cornelius Castoriadis. Le rôle que celui-ci attribue à l’imagination dans l’institution de la société nous permettra d’explorer la puissance critique du schème continuité-discontinuité dans la portée sociale-historique de l’imagination et d’ouvrir ainsi notre champ de recherche à la temporalité collective et à l’histoire.

Cette nouvelle ouverture a deux conséquences sur la construction du projet. D’une part, elle permet de revenir avec fruit sur le premier axe, celui de la temporalité : les acquis concernant la puissance critique de l’imagination doivent être en retour remobilisés pour creuser le rôle de l’absence, du non-advenu dans la construction de la temporalité et tout particulièrement de la projection qui la constitue.

D’autre part, l’ouverture à la question du social-historique esquisse déjà le troisième axe de la recherche, qui croise les deux premiers et, à la fois, élargit leur portée philosophique et concentre sur un concept philosophique majeur, celui d’utopie, l’analyse de la puissance critique de la projection.