Publications
Faire naître le juriste à l’existence… Discours de la proclamation des bacheliers en droit à horaire de jour et horaire décalé
Bonsoir à vous, droïdes namurois de la 54e promotion qui êtes à l’honneur ce soir !
Bonsoir à vous, parents, famille ou proches qui participez aux réjouissances après l’avoir bien mérité…
Bonsoir à vous, enseignants et collaborateurs, qui êtes présents ce soir pour témoigner votre reconnaissance.
Bonsoir à vous, Madame la première Doyenne de la Faculté de droit de l’Université de Namur depuis le 14 septembre courant
Bonsoir à vous, Madame la rectrice, qui nous faites l’honneur de votre présence ce soir et qui représentez les autorités académiques au sens étymologique et symbolique du terme
Non point celui du pouvoir, de la puissance ou de la domination, vous l’aurez compris, mais bien celui plus symbolique de l’autorat ou de l’actorat (être auteur ou acteur)
On l’oublie souvent mais le terme « autorité » provient du nom latin « auctoritas », à distinguer du terme « potestas » - le pouvoir -.
Ainsi, l’autorité n’est pas synonyme de pouvoir. Elle peut même exister sans la force du pouvoir, raison pour laquelle l’on dit parfois de quelqu’un qu’il « fait autorité ». Le verbe augeo, dont provient l’auctoritas, signifie faire naître, augmenter, produire à l’existence. L’autorité académique est donc ce soir celle qui fonde la diplomation et se porte garante des diplômes signés et conférés par l’héritage et l’élection.
Faire naître le juriste, l’augmenter, produire le juriste à l’existence…
C’est de cela qu’il est question ce soir
C’est de cela qu’il s’est agi durant les trois dernières années – dans le meilleur des cas – pour chacun et chacune d’entre nous
D’entre nous car le processus est tout sauf unilatéral : il est résolument bilatéral et même multilatéral… fondé sur le lien, plutôt que sur l’autorité…
Pour être diplômé bachelier en droit, le candidat doit être acteur de sa formation ; il doit être soutenu par ses proches, par ses pairs et ses enseignants ; il est appelé à passer par de nombreuses mains ; il est en quelque sorte mis à toutes les sauces : liberté académique oblige, il est confronté à des styles différents, à des méthodes différentes, à des personnalités différentes, à des points de vue différents…
Et c’est heureux !
Heureux car cette dialectique multilatérale favorise l’émergence progressive d’un esprit libre, critique et nuancé.
Heureux aussi car elle contribue à la capacité d’adaptation de l’étudiant dans l’apprentissage face auquel il est appelé à trouver sa méthode, càd la méthode qui lui convient, et qui lui servira plus tard à devenir autodidacte, à s’informer à bonnes sources.
Mais il ne faut pas s’y méprendre car il y a dans la diversité une unité d’approche avec laquelle nous sommes ou devrions être sans concession : une approche scientifique, fondée sur l’analyse et tendant à l’objectivité, ce qui n’empêche pas une forme d’engagement, mais alors en bouquet final, comme une cerise sur le gâteau, dans le respect de tous les points de vue et toujours avec un esprit d’ouverture.
Cette posture académique fondamentale nous a conduit, cette année, à identifier le fil rouge de nos enseignements de la manière suivante : « ensemble face au harcèlement » plutôt que « ensemble contre le harcèlement ».
C’est que notre rôle n’est pas de convaincre d’un point de vue déterminé, mais bien d’informer adéquatement, de former au raisonnement et d’élever les consciences afin de mettre l’étudiant en capacité de poser ses propres choix, en toute liberté, dans le respect de ses convictions, de son libre-arbitre.
Définitivement, le juriste n’est pas condamné à faire de la plomberie juridique sans pouvoir être un juriste engagé !
Le droit est une science au service de la société, un moyen de la réguler et de poursuivre des objectifs.
Le droit pour lui-même n’a aucun sens.
Le droit a besoin d’une boussole, comme toutes les sciences à vrai dire, qui est celle des valeurs ! Car lorsque le droit perd le nord, il conduit aux dérives les plus ignobles.
Il y a quelques jours, je me suis rendu aux camps d’Auschwitz et d’Auschwitz Birkenau en Pologne, du côté de Cracovie, après avoir visité le musée de la caserne Dossin (celui-là même imposé récemment à Corner Rousseau) et le fort de Breendonk du côté de Malines en Belgique. J’en ai pris plein la figure de juriste que je suis… car le droit était au cœur du national socialisme et du régime nazie.
Hitler est arrivé au pouvoir par les juristes, de jeunes juristes prometteurs qu’il a engagés dans son mouvement à la faveur de la crise économique pour fonder sa rhétorique machiavélique et réécrire le droit.
Hitler est arrivé au pouvoir par le droit, dont il a progressivement mais rapidement changé les règles pour s’arroger tous les pouvoirs et persécuter les personnes de confession ou d’origine juive ou roms, les personnes souffrant d’un handicap et les opposants politiques. Persécuter des personnes pour ce qu’elles sont, et non pour ce qu’elles font… après les avoir exclues…
C’est par le droit administratif – par une multitude d’actes administratifs unilatéraux réglementaires et individuels - , que le harcèlement, les ghettos, les déportations et les exterminations ont été patiemment organisées et exécutées… Port de l’étoile, couvre-feu, interdiction de lieux, interdiction de professer, travaux d’intérêt général, déportation, exécution, etc…
Et l’histoire montre que les juges n’ont pas été en reste pour suivre et porter le dictateur, point seulement par les formes, jusqu’au salut nazi aux audiences, mais également par l’application du droit nazie et le prononcé de formules incantatoires les plus folles les unes que les autres, faisant fi de l’intérêt général, confondant celui-ci avec l’intérêt du peuple allemand, censé être une race pure, incarné par un seul homme…
Certes, il est facile dans notre confort de juger aujourd’hui les personnes qui ont collaboré à l’horreur du droit dans un régime fondé sur la menace, la terreur et la manipulation. Et j’espère sincèrement que nous ne serons jamais dans la situation de devoir tester ce que nous ferions réellement si nous étions confrontés un jour à une telle situation…
Mais ce qui est sûr, c’est que "Ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le répéter" (c’est moi qui le dit ce soir mais c’est George Santayana qui l’a écrit).
C’est la raison pour laquelle il est essentiel d’entretenir la mémoire, au moment précis où les derniers témoins directs s’éteignent peu à peu.
Une mémoire qui se rappelle à nous, parfois malgré nous.
Le conflit israélo-palestinien en est le triste exemple, avec le risque d’une recrudescence de l’antisémitisme partout dans le monde, y compris chez nous, à la faveur d’un amalgame (l’absence de nuance en réalité) entre un Etat et une religion …
Comment comprendre par ailleurs qu’il y a quelques heures à peine, un parti d’extrême droite eurosceptique et islamophobe – le PVV – gagne les élections législatives aux Pays-Bas, un parti dont le programme est considéré par l’Ordre des avocats néerlandais dans un rapport publié dans la foulée du scrutin comme violant l’Etat de droit et plusieurs droits fondamentaux consacrés par des traités internationaux ?
Gel des droits à l’asile, emprisonnement à vie pour les peines de prison à perpétuité, jugement des jeunes de 14 ans comme des adultes dans des affaires de violence ou de délits sexuels, suggestion d’un lien entre un comportement criminel et l’origine des auteurs, interdiction des écoles islamiques, des corans ou des mosquées en violation du droit constitutionnel de liberté de culte et d’égalité des chances, etc.
Autant de mesures qui pourraient faire l’objet de règles de droit prochainement…
Le plus cynique est que l’acronyme PVV signifie « parti pour la liberté »… mais pas pour tout le monde…
Certes, Geert Wilders a promis lors de sa campagne qu’il était prêt à mettre certains points « au frigo » pour pouvoir collaborer avec des partis qui ne sont pas d’accord avec son idéologie. Mais comment ne pas apercevoir, à la lumière de ce qui s’est passé au siècle dernier durant les années 20 (parallélisme complet avec aujourd’hui puisque nous sommes à nouveau dans les années 20…) que tout ceci est très provisoire ?...
Dans le conflit israélo-palestinien, aussi, le droit est intimement mêlé à la guerre et aux atrocités, au nom du droit du sol et du droit de se défendre, en particulier. Heureusement, plusieurs disciplines juridiques tentent d’encadrer les conflits armés et d’éviter les carnages : le droit de la guerre, le droit pénal international et le droit humanitaire. Car si le droit a besoin d’une boussole, c’est souvent pour devenir à son tour une boussole sur le terrain. C’est dire l’importance du droit international face aux nationalismes. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs qu’ils veulent s’en affranchir… C’est dire l’importance du juriste dans la société et plus généralement de ceux et celles qui, comme vous dans quelques années, contribueront à la création des droits et à leur application. Car certes, le droit peut servir à défaire la démocratie, mais il sert aussi directement à la consolider et au besoin à la reconstruire…
Comprenez -moi bien. Je ne suis ni pro-israélien, ni propalestinien. Je suis juste pour un droit qui permette d’éviter ou mettre fin aux conflits et de favoriser la paix entre des personnes qui se battent contre eux-mêmes car, pour la petite histoire, ils ont vraisemblablement une bonne partie de gênes en commun…
Pour l’heure, il faut bien constater que le cocktail est détonnant au cœur même de l’Europe où se côtoient désormais antisémitisme et islamophobie… comme si le conflit s’importait… antisémitisme et islamophobie, deux formes d’intolérance qu’un historien comme Marc Knobel explique tout simplement par un manque criant d’éducation.
Il n’a pas tort, car après tout « L'éducation, c'est la boussole de la vie ! » - pour reprendre les mots de Franck Somkine.
Et si la boussole du droit n’était autre que l’éducation, au-delà de la formation en droit ? l’éducation aux valeurs, certes, mais pas seulement. L’éducation à la nuance et à l’esprit critique, aussi.
Ce soir, nous sommes fiers de célébrer votre diplôme qui atteste votre éducation en droit et aux valeurs du droit, votre formation de base en droit. Car c’est bien de cela dont il s’agit dans le bachelier en droit aujourd’hui. La formation aux principales disciplines juridiques avant une certaine forme de spécialisation en master, en master de spécialisation ou en doctorat ou encore en certificat. L’occasion de saluer et féliciter les lauréats du certificat interuniversitaire en droit de l’insolvabilité qui sont également à l’honneur et seront certifiés dans quelques instants.
Ce soir, c’est le moment des félicitations.
Félicitations à vous, d’abord, étudiants et étudiantes, qui n’avez guère ménagé vos efforts. Je laisserai aux délégués de promotion le soin de rappeler les affres par lesquels vous êtes passés, vous qui avez été frappés de plein fouet par le covid19 en manière telle que vous avez commencé l’université à distance…
Chapeau bas les artistes ! car dans des conditions normales, ce n’est déjà pas facile d’assister aux 2500 heures de cours et TP, de digérer les 20.000 pages de syllabus et 2000 pages de code en trois ans et de réussir les 38 examens oraux et/ou écrits, sans oublier les présentations orales… et plus encore pour les plus gourmands, parfois la double voire la triple dose…
Pensée spéciale aussi pour ces héros qui ont su transcender des conditions très difficiles car nous nous ne sommes pas tous logés ou confinés à la même enseigne, en termes de conditions de vie, d’étude et d’examen ; ou encore dans notre corps et dans notre tête, tout simplement…
Les seuils de résistance sont variables, les parcours de vie différents, parfois semés d’embuches, par le plus grand hasard de la vie !
Ce soir, nous avons beau être toutes et tous rassemblés, le vécu de la réussite de chacun reste personnel, son goût différent, et l’émotion d’autant plus forte pour celui ou celle – étudiant ou proche – qui le sait… qui sait par quoi il ou elle est passé… échec, maladie, accident, séparation, agression, situation familiale, décès…
Pensée spéciale aussi à tous les étudiants délégués qui se sont investis, année après année, pour vous représenter dans les différents organes de la faculté, pour faire vivre le cercle de droit ou encore pour encadrer cette magnifique aventure collective qu’est la revue de droit avec sa 50e édition.
A mon signal, et en se regardant les uns les autres dans les yeux comme si l’on trinquait déjà à votre réussite, tous ces efforts méritent assurément des applaudissements nourris et réciproques ! Maintenant !
Félicitations, aussi, à ceux et celles qui, dans l’ombre et gratuitement, vous ont soutenu en toutes circonstances. Jamais le soutien familial n’aura été aussi important qu’en période covid ! Votre réussite mérite de leur être dédicacée.
Aussi, je vous invite à vous lever et vous tourner vers tous ces proches présents ce soir qui méritent aussi nos applaudissements…
Félicitations enfin au corps professoral, académique, scientifique et administratif, présent en nombre ce soir, car c’est grâce à eux que vous bénéficiez désormais d’une formation solide, mais aussi d’une éducation aux valeurs de justice et de respect de chaque être humain quel qu’il soit avec une valeur égale en toutes circonstances - c’est aussi grâce à leur détermination à vous accompagner vers la réussite que vous avez décroché le sésame !
Sans oublier qu’avant eux, il y a eu d’autres enseignants, depuis le début de votre scolarité, qui ont posé les premières pierres à l’édifice, sans lesquelles nous n’aurions rien pu construire et qui méritent une petite pensée. Je propose de les associer à vos applaudissements, en vous levant vers le corps professoral s’il vous plaît.
Cette éducation, dont j’ai parlé tout à l’heure, elle n’est pas encore finie, à supposer qu’elle puisse l’être un jour et la plupart d’entre vous seront d’ailleurs appelés à devenir « éducateurs » à un moment donné de leur vie, que ce soit à titre principal en qualité d’enseignant, ou à titre incident comme maître de stage. Certains le sont déjà, à vrai dire, je songe aux tuteurs, aux délégués ou aux animateurs de mouvements de jeunesse qui « font autorité » auprès de ceux qu’ils élèvent.
Pour la plupart d’entre vous, l’heure du choix de la vie professionnelle a sonné ; pour les autres, cela ne saurait tarder.
C’est à ce moment précis qu’au-delà de la formation, l’éducation est appelée à servir de boussole face aux grands défis qui se présentent à nous, parfois liés entre eux :
- la paix ;
- le climat ;
- la numérisation ;
- les inégalités sociales ;
- la démocratie.
Le monde a besoin de juristes engagés pour relever chacun de ces défis !
Le monde a surtout besoin de juristes alignés par rapport à eux-mêmes… en accord avec eux-mêmes…
Mais comment « devient-on soi-même », pour paraphraser Eric-Emmanuel Schmitz ?
En faisant d’abord connaissance avec soi, avec ses imperfections, mais surtout ses qualités et ses points forts.
Il faut dire qu’Eric-Emmanuel a commencé par être musicien pour se rendre compte, en cours de route, qu’il racontait beaucoup mieux les histoires… mais peu importe en définitive, car s’il n’avait pas essayé, il n’aurait jamais su…
N’ayez pas peur, dès maintenant, de tenter les expériences professionnelles qui vous attirent, car ce sont elles qui vous diront qui vous êtes. Et n’abandonnez pas trop tôt ou par facilité, au risque de manquer votre rendez-vous.
Enfin, méfiez-vous des sirènes comme Ulysse dans le détroit de Messine, méfiez-vous de ces trois écueils qui pourraient bien vous empêcher de devenir vous-même alors que, comme la vie et les choses de ce monde, ils sont éphémères : sic transit gloria mundi. Ainsi passe la gloire du monde… la gloire, mais aussi l’argent et le pouvoir. Ou si vous préférez : la fame, la moula et le power…
Je ne suis pas en train de vous dire que pour être heureux vous devez être pauvre, n’exercer aucun pouvoir et vous fondre dans la masse sans jamais être dans la lumière.
Non : la gloire, le pouvoir et l’argent sont des écueils lorsqu’ils deviennent une fin en soi ou une fin personnelle, sans dimension collective ; lorsqu’ils prennent le dessus par rapport au libre-arbitre et au véritable soi-même.
A l’inverse, l’argent, le pouvoir et la réputation peuvent permettre de mobiliser et de servir de grandes causes… par exemple les défis que j’identifiais il y a quelques instants.
« L'éducation, c'est la boussole de la vie ! » vous disais-je tout à l’heure. Quant à vos éducateurs, ils sont comme des phares dans la nuit. N’hésitez pas à les revoir, les consulter, leur donner des nouvelles, tout simplement… car lorsque toute sa vie on fait naître le juriste, lorsque chaque jour on produit le juriste à l’existence, le devenir de l’apprenti juriste nous intéresse au plus haut point.
Pour vous aider à devenir vous-même, vous savez que vous pouvez compter sur ceux et celles qui forment votre université de cœur, votre alma mater- votre mère nourricière – pour toujours !
Et je ne vise pas que vos enseignants. Je vise aussi vos congénères qui aujourd’hui deviennent des alumni de l’adanam.
Quelle belle aventure collective nous avons vécue ensemble ; pourquoi diable ne pas la poursuivre ?
Vive la faculté de droit de l’UNamur ! Vive les étudiants de la promotion 2022-2023 ! Et encore félicitations à vous !
Abattage rituel et bien-être animal : le dilemme cornélien du législateur bruxellois
Stéphanie Wattier, Professeure à la Faculté de droit de l’Université de Namur
Après les Parlement wallon et flamand, c’est au tour du Parlement bruxellois de se pencher sur la question de l’interdiction – ou non – de l’abattage rituel d’animaux sans étourdissement préalable. A cet égard, l’on rappellera d’emblée que le bien-être animal est une matière qui a été régionalisée lors de la Sixième Réforme de l’Etat, ce qui explique les potentielles différences législatives d’une région à l’autre. En effet, là où les législateurs wallon et flamand ont décidé d’interdire tout abattage – même religieux – sans étourdissement, tel n’est pas le cas en Région bruxelloise où les partis politiques sont très divisés sur la question.
Outre les questions « belgo-belges » de répartition des compétences, il faut, en outre, tenir compte des compétences de l’Union européenne, notamment en matière de politique agricole commune. En 2009, l’Union a adopté un Règlement sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort qui, entré en vigueur en 2013, prévoit une possibilité (et donc pas une obligation) d’exception à l’obligation d’étourdissement en cas d’abattage religieux.
Le choix des Régions wallonne et flamande de prohiber l’abattage rituel sans étourdissement préalable a récemment été validé par la Cour de Justice de l’Union européenne et par la Cour constitutionnelle. Le recours est, désormais, pendant devant la Cour européenne des droits de l’homme. Il reste que la question est moins prégnante dans ces deux régions car la population de confession musulmane y est beaucoup moins nombreuse qu’en Région bruxelloise.
Toute la difficulté réside dans la conciliation entre, d’une part, la protection du bien-être animal qui est un objectif d’intérêt général de l’Union européenne et, d’autre part, la liberté de religion qui est consacrée par la plupart des instruments de protection des droits fondamentaux.
Pour concilier ces deux enjeux, il nous paraît inutile, de la part du Parlement bruxellois, d’auditionner pléthore d’experts scientifiques car l’ensemble des études scientifiques s’accordent pour considérer que les procédés d’abattage du culte musulman et du culte israélite font souffrir les animaux, en plus de les plonger dans un état de grande détresse lorsqu’ils réalisent qu’ils vont être égorgés. Le problème est que, dans la religion musulmane et la religion juive, il est exigé que l’animal décède du fait de son abattage, et non pas en raison de l’étourdissement préalable, ce qui se produisait parfois avec les anciens procédés d’étourdissement mécanique. Désormais, grâce aux progrès techniques, un procédé d’électronarcose qui est réversible (et donc non léthal) a été mis au point. Il permet de s’assurer que l’animal ne décèdera pas par étourdissement et sera seulement dans un état semblable au sommeil, ce qui fait qu’il ne se rendra pas compte qu’il est abattu et n’en souffrira en principe pas.
Il reste que cette méthode d’électronarcose ne fait pas l’unanimité au sein des communautés religieuses. Si elle semble acceptée par une partie des communautés musulmanes, elle est, en revanche, mal accueillie par les communautés juives qui exigent, en plus, afin que la viande soit casher, que l’animal soit conscient lors de son abattage.
L’on comprend dès lors la perplexité des législateurs : comment concilier bien-être animal et liberté de religion ? Il nous semble que la seule vraie piste de solution est celle du dialogue. Un dialogue entre les décideurs politiques et les représentants des cultes afin que chacun puisse comprendre les inquiétudes de l’autre. Il est difficile d’imaginer que les juifs et les musulmans ne soient pas, eux aussi, préoccupés par le bien-être animal. L’on soulignera également que, depuis 2021, le Code civil reconnaît que les animaux sont dotés de sensibilité. La protection du bien-être animal est non seulement un objectif d’intérêt général de l’Union européenne mais aussi de plus en plus présent dans les législations ces dernières années, à l’instar de l’interdiction de couper les queues des chiens et des chevaux, de l’obligation de stériliser les chats en Région wallonne, etc.
L’on rappellera que le dialogue entre les pouvoirs publics et les représentants des cultes est la solution qui avait été préconisée par le Conseil d’Etat fin 2020 lorsqu’il avait annulé un arrêté ministériel empêchant la tenue de cérémonies religieuses à cause de la pandémie. Un nouvel arrêté avait alors été adopté par le ministre compétent après avoir discuté avec les représentants des cultes reconnus et de la laïcité organisée.
En optant pour le dialogue, le législateur bruxellois se gardera au moins de deux risques : celui de se prononcer sur la légitimité des croyances des communautés religieuses, d’une part, et celui qu’il soit procédé à des abattages clandestins pour contourner les interdictions, d’autre part.
Pour une Autorité de protection des données indépendante et forte
https://www.lesoir.be/417055/article/2022-01-11/pour-une-autorite-de-protection-des-donnees-independante-et-forte
Une carte blanche, rédigée notamment par
L’intelligence artificielle et l’analyse des données constituent à la fois une révolution technologique, une transformation de nos sociétés désormais numériques mais aussi un risque important pour nos droits et libertés. Certes, pour soutenir ses politiques, l’Etat doit pouvoir organiser des échanges de données qui concernent de nombreux aspects de notre vie (santé, famille, habitation, situation financière, etc.). En contrepartie, l’Union européenne a imposé la création dans chaque Etat d’une Autorité chargée de la Protection des Données des particuliers (APD). Or, dès sa mise en place et jusqu’à ce jour, les décideurs politiques belges n’ont eu de cesse de contrôler cette autorité « indépendante », de la contourner, de la dévoyer et d’ignorer ses recommandations. Les clignotants se sont multipliés ces derniers temps.
Trois clignotants
- L’Autorité de protection des données a pour rôle de contrôler l’Etat. L’Etat doit donc faire en sorte que l’Autorité de protection des données ne soit pas infiltrée par des membres se trouvant sous l’influence de l’Etat. Or, elle l’est, notamment par la présence − en son centre de connaissance − de celui qui dirige la Banque-carrefour de la sécurité sociale et la Plateforme eHealth, deux institutions ayant pour mission de gérer de larges bases de données dans les deux plus grands secteurs du pays. La Commission européenne a mis la Belgique en demeure de régulariser la situation avant le 12 janvier. Aucune démarche effective n’a été entreprise par l’Etat pour répondre à cette exigence précise. Le risque est grand que la Belgique soit assignée devant la Cour de justice de l’Union européenne d’ici peu.
- L’Autorité de protection des données doit obligatoirement être consultée au stade de la préparation de toute mesure législative ou réglementaire prévoyant le traitement de données à caractère personnel. L’objectif de cette obligation est de garantir que les normes en projet puissent passer sous le « scanner » d’une autorité spécialisée en la matière, qui peut alerter publiquement des dangers de certaines pratiques envisagées. Or, malgré un rappel explicite du Conseil d’Etat, l’Etat n’a pas consulté l’Autorité de protection des données au moment de l’extension du Covid Safe Ticket à l’ensemble du territoire. La Commission européenne est d’ailleurs saisie d’une plainte à ce sujet.
- L’Autorité de protection des données dysfonctionne. L’une des directrices de l’Autorité de protection des données, en charge du centre de connaissance, a récemment démissionné, dénonçant le fait qu’elle n’était plus en mesure d’exercer son travail en raison de l’absence d’indépendance de certains des membres.
En outre, comme le révélait Le Soir, depuis le jour même où la Belgique était tenue de transposer en droit interne la directive européenne instituant un régime de protection des lanceurs d’alerte, deux autres directeurs – dont l’une a elle aussi dénoncé à de multiples reprises les dysfonctionnements de l’institution – sont visés par une procédure de levée de mandat pour des motifs non identifiés publiquement. Or, si la Chambre devait lever le mandat de directeurs de l’Autorité de protection des données pour des motifs non transparents et non liés à la mise en cause de leur indépendance, ce serait aggraver le problème de la non indépendance de l’Autorité de protection des données au lieu de le résoudre. De plus, la procédure quasi juridictionnelle qui est mise en œuvre se mène à huis clos, ce qui soulève aussi des questions préoccupantes s’agissant du respect des droits de la défense.
Violation du droit
Ces multiples clignotants ne révèlent pas seulement un « estompement de la norme » mais un mépris ouvert et la violation caractérisée du droit par nos plus hauts dirigeants politiques. Alors que ceux-ci ne cessent d’en appeler à l’obéissance des citoyens et au respect des règles, ils s’en soucient peu eux-mêmes et s’en affranchissent dans un domaine pourtant reconnu comme très sensible pour les droits fondamentaux et les libertés des citoyens.
De tels comportements ne peuvent qu’aggraver la profonde méfiance et inquiétude des citoyens à l’égard de l’action politique dans un domaine sensible dont ils appréhendent, non sans raison, les risques pour leurs droits et leurs libertés.
En attendant que ces violations soient examinées par des juges, nous en appelons à la vigilance des citoyens, des observateurs et des académiques. Nous serons particulièrement attentifs au respect de l’intégrité et des compétences de cette autorité indépendante de contrôle, de la suppression des conflits d’intérêts en son sein et du respect des règles du procès équitable et des droits de la défense dans la procédure en cours devant la Chambre.
Vacciner, au mépris des lois ?
https://www.lalibre.be/debats/opinions/vacciner-au-mepris-des-lois-608178b19978e21698dc3c33
Jean-Michel Longneaux, philosophe, chargé de cours à l’Université de Namur.
Mis à part les problèmes d’organisation et d’approvisionnement par les firmes pharmaceutiques, la campagne actuelle de vaccination semble se dérouler généralement bien. Toutefois des témoignages se multiplient qui doivent inquiéter : pour préserver ce bon déroulement, certains n’hésiteraient pas à enfreindre des lois pourtant fondamentales.
Tout d’abord, des personnes acquises à la cause vaccinale semblent profiter d’une sorte d’impunité qui les autorise à harceler, à menacer et à mettre sous pression les hésitants, et à faire taire tous ceux qui osent poser des questions. Il n’est manifestement pas inutile de rappeler que la vaccination n’est pas obligatoire en Europe, et à fortiori en Belgique. Par ailleurs, la résolution du Conseil de l’Europe du 27 janvier 2021 défend sans ambiguïté la liberté vaccinale sans discrimination. On peut en effet y lire au point 7.3 que « pour ce qui est d’assurer un niveau élevé d’acceptation des vaccins », il faut « s'assurer que les citoyens et citoyennes sont informés que la vaccination n'est PAS obligatoire et que personne ne subit de pressions politiques, sociales ou autres pour se faire vacciner, s'il ou elle ne souhaite pas le faire personnellement ; et de veiller à ce que personne ne soit victime de discrimination pour ne pas avoir été vacciné, en raison de risques potentiels pour la santé ou pour ne pas vouloir se faire vacciner. »
Les personnes qui refusent d’être vaccinées ne commettent donc rien d’illégal, tandis qu’il est manifeste que les harceleurs qui font pression, en particulier sur le lieu du travail, contreviennent à la loi de juin 2002 sur le harcèlement moral et pourraient, le cas échéant, s’exposer à des poursuites. Pour rappel, le harcèlement moral au travail se caractérise par « des comportements, des paroles, des intimidations, des actes, des gestes et des écrits unilatéraux, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la personnalité, la dignité ou l’intégrité physique ou psychique d’un travailleur (…) », par le fait de « créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». Cette définition correspond en tous points aux témoignages de travailleurs, notamment dans le monde de la santé, qui reconnaissent ne plus oser exprimer leur point de vue, et même s’être laissé vacciner contre leur volonté pour en finir avec les pressions exercées sur eux. D’autres ont démissionné ou disent être sur le point de le faire tant la violence subie est devenue insupportable. Même si ces cas étaient rares, ils seraient suffisamment graves pour être dénoncés en justice. Et ils devraient d’ailleurs l’être tout autant s’ils étaient le fait de non vaccinés ou d’anti-vaccins à l’encontre des vaccinés.
Ensuite, tant qu’elle n’est pas obligatoire, la vaccination repose sur le libre consentement tel que le prévoit l’art. 8 de la loi de 2002 sur les droits du patient : « Le patient a le droit de consentir librement à toute intervention du praticien professionnel moyennant information préalable. » Ce principe est en effet d’application y compris pour des personnes en bonne santé qui veulent bénéficier de soins préventifs. Mais est-il respecté ? La liberté ne devient-elle pas théorique quand les décisions sont prises non pas parce qu’on les choisit en conscience mais parce qu’on n’en peut plus de vivre dans la peur, parce qu’on ne supporte plus les restrictions des libertés ou, comme on vient de l’indiquer, parce qu’on veut échapper aux pressions subies ? Dans de telles conditions, ne devrait-on pas plutôt parler de consentement forcé ?
Quant aux informations fournies pour se faire une opinion, sont-elles toujours loyales ? La loi précise au § 2 du même article 8 quelles informations doivent être transmises : elles portent sur « l'objectif, la nature, le degré d'urgence, la durée, la fréquence, les contre-indications, effets secondaires et risques inhérents à l'intervention et pertinents pour le patient, les soins de suivi, les alternatives possibles et les répercussions financières. Elles concernent en outre les conséquences possibles en cas de refus ou de retrait du consentement (…) ». La loi exige donc que l’on communique au patient ce que l’on peut espérer positivement de la campagne de vaccination, mais aussi ses limites et risques éventuels. Les données officielles fournies par les firmes pharmaceutiques suffiront : elles reconnaissent elles-mêmes de nombreuses inconnues concernant les risques à moyen et long terme, mais aussi à propos de l’efficacité de leur produit dans la durée et par rapport aux variants, et le fait qu’on est toujours en phase d’expérimentation (jusqu’en 2023 ou 24 selon les firmes). Il convient aussi d’informer en toute objectivité et avec la même rigueur critique sur les alternatives préventives et curatives existantes. Manifestement il arrive qu’on ne prenne pas toujours le temps de s’assurer que ces informations sont connues de chacun partout où la vaccination est organisée. Chaque fois que c’est le cas, c’est l’article 8 de la loi sur le droit des patients qui est violé.
Enfin, il n’est sans doute pas inutile de rappeler que la vaccination, comme tout autre soin, relève de la vie privée (même si son but est d’ordre public). Personne, pas même au travail l’employeur, ne peut forcer quiconque à déclarer s’il est ou pas vacciné. Ne doit-on dès lors pas s’étonner qu’en certains lieux, tout est fait pour connaitre la position de chacun et critiquer publiquement celles et ceux qui sortiraient du rang ? Quant aux données personnelles collectées à l’occasion de la campagne de vaccination, elles sont également soumises à la loi du 30 juillet 2018 relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel (RGPD). Il est prévu dans cette réglementation que l’usage qui sera fait de ces données doit être expliqué et recevoir l’approbation de chaque citoyen concerné. A entendre des personnes vaccinées, il semble que là aussi la communication ne soit pas toujours optimale.
On peut être convaincu par la nécessité impérieuse de la campagne de vaccination. On peut y voir une forme de solidarité vis-à-vis des plus faibles et l’exercice d’un devoir civique. Mais rien n’autorise que certains compromettent ces nobles motivations en bafouant ouvertement les principes du consentement éclairé et du respect de la vie privée. Quant à ceux qui refusent de se faire vacciner, quand bien même on ne serait pas d’accord avec eux, rien ne justifie qu’ils soient culpabilisés, stigmatisés ou menacés. Que vaut en effet la morale de la solidarité ou le civisme que l’on prétend défendre si en leur nom, on justifie la contrainte, le harcèlement et l’exclusion de ceux qui souvent ne s’opposent pas au principe de la vaccination mais privilégient d’autres réponses et donc d’autres formes de solidarité pour faire face à la crise actuelle ? Après tout, chacune ayant ses limites, c’est peut-être la multiplication des approches qui nous donnera la victoire.
Violences conjugales, métiers de première ligne et fracture numérique, à chaque fois, les femmes sont dans la ligne de mire, comme le révèle la crise du covid en aggravant la situation. L’auteure, Stéphanie Wattier demande que gouvernement et parlement mettent la protection des droits des femmes au rang de leurs priorités
Stéphanie Wattier
Après une année de crise liée à la pandémie de Covid-19, la journée internationale de ce 8 mars est l’occasion de se questionner sur la situation des droits des femmes.
Les mesures décidées par le gouvernement fédéral depuis mars 2020 ont eu un impact négatif sur les droits des femmes à de nombreux égards. Ces mesures ont été révélatrices d’inégalités qui existaient d’ores et déjà de longue date entre les femmes et les hommes, et la crise sanitaire n’a fait que les accentuer.
Premièrement, le confinement a eu pour conséquence l’augmentation des violences conjugales, et spécialement des violences à l’égard des femmes. Durant la période de confinement strict de mars et avril 2020, l’Organisation Mondiale de la Santé a observé, dans l’ensemble des pays membres, une augmentation de 60 % des appels de détresse sur les lignes d’urgence de la part de femmes victimes ou menacées de violences de la part de leur partenaire. A cet égard, n’oublions pas que des obligations en matière de protection des femmes contre toute forme de violence pèsent sur la Belgique, qui est liée par la Convention d’Istanbul. L’accord du gouvernement fédéral d’Alexander De Croo du 30 septembre 2020 précise d’ailleurs que « [l]e gouvernement fera de la lutte contre la violence basée sur le genre une priorité. La Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique servira de ligne directrice à cet égard. La lutte contre la violence de genre doit être menée dans tous les domaines par une approche intégrale ».
Deuxièmement, la crise sanitaire a mis en évidence le fait que les métiers dits « de première ligne » – c’est-à-dire surexposés au risque de contamination – restent très majoritairement exercés par des femmes (infirmières, guichetières, vendeuses en magasin, caissières, ouvrières du nettoyage, etc.). Si ces métiers ont été caractérisés d’« essentiels », d’« indispensables », de « cruciaux », ils ont également été qualifiés de « trop peu reconnus » et de « sous-rémunérés », montrant ainsi l’importante évolution nécessaire en la matière. La surreprésentation des femmes dans les métiers moins rémunérés demeure, en effet, l’un des facteurs qui expliquent la persistance d’inégalités salariales entre les femmes et les hommes.
Troisièmement, la crise a révélé que la fracture numérique – à savoir les inégalités dans l’accès au numérique – était plus importante dans le chef des femmes que dans celui des hommes. Un baromètre du SPF Économie a montré que cette réalité concerne l’ensemble des pays membres de l’Union européenne. Le passage au « tout numérique » (obligation du télétravail, des vidéoconférences, etc.) pour des raisons sanitaires a donc été le vecteur d’inégalités entre travailleuses et travailleurs.
Ces trois illustrations des inégalités à l’égard des femmes, qui ont été accentuées par la crise, sont évidemment non exhaustives. Elles sont néanmoins révélatrices de la prise de conscience et de l’évolution qui est nécessaire à tous les niveaux pour lutter contre les discriminations à l’égard des femmes. L’UNESCO a d’ailleurs fait part de ses préoccupations à leur sujet en indiquant qu’ « nous savons que les filles et les femmes risquent d’être davantage exposées au virus, en tant que membres du personnel de santé et que soignantes. À la maison, elles pourraient se retrouver surchargées de travail non rémunéré, ne pas être en mesure de poursuivre leurs études à distance et subir plus de violences domestiques. Ces risques compromettent leur retour à l’éducation ».
En ce 8 mars 2021, appelons le parlement et le gouvernement à placer la protection des droits des femmes et la réduction des inégalités de genre au rang de leurs priorités, afin que la crise sanitaire du coronavirus – qui laissera derrière elle une crise économique – ne soit pas réalisatrice des craintes formulées par Simone de Beauvoir il y a près d’un siècle, qui résonnent particulièrement aujourd’hui : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant ».
Freedom of religion during the pandemic : France and Belgium in search of consistency, by Romain Mertens
Romain Mertens eu l’occasion d’écrire une contribution pour le blog de la British Association of Comparative Law récemment. Elle concerne la liberté de religion en période de Covid et la jurisprudence du Conseil d’Etat en la matière.
Voilà le lien de l’article : https://british-association-comparative-law.org/2021/02/05/freedom-of-religion-during-the-pandemic-france-and-belgium-in-search-of-consistency-by-romain-mertens/
LE SUIVI NUMÉRIQUE DES CITOYENS : UN PACTE AVEC LE DIABLE
Elise Degrave
Professeure de droit à l’UNamur Membre du Conseil wallon du numérique
Sortir du confinement exige-t-il le suivi numérique des citoyens ? Des voix s’élèvent en ce sens. La situation, bien qu’anxiogène, ne doit toutefois pas faire oublier que la technologie n’est malheureusement pas la baguette magique dont on aimerait tant disposer en ce moment. Qu’elle est avant tout un moyen au service d’un projet de société. Que les choix à faire aujourd’hui dessinent les contours de la société de demain. Et que l’heure est donc au débat démocratique, prudent et nuancé. A ce stade on ne peut affirmer que la technologie est nécessairement liberticide. On ne peut davantage soutenir qu’elle ne porte pas atteinte à nos libertés. Et, même si c’est tentant à l’heure où tant d’emplois sont menacés, on ne peut pas limiter cette question aux enjeux économiques qui la sous-tendent.
Le projet d’une application « anti covid » pour suivre les citoyens au départ de leur smartphone n’échappe pas à ces questionnements. Entre enthousiasme technologique et craintes pour le respect de nos libertés citoyennes, la vigilance est de mise. En particulier, cinq questions sont déterminantes pour un débat démocratique qui doit mettre en balance les atouts et les risques d’un tel outil pour nous aider à décider de notre avenir.
- Est-il possible de créer une application sécurisée, qui garantisse l’anonymat et respecte la vie privée des citoyens ? Actuellement, ce n’est pas certain. Des discussions ont lieu entre informaticiens, notamment, à propos de différentes solutions techniques envisageables (outil « open source », stockage des données non centralisé, etc.), mais les risques de détournement de ces systèmes sont réels, comme l’explique très bien le site risques-tracage.fr. Entre autres nombreux exemples, un banquier qui hésiterait à accorder un prêt à une personne malade pourrait utiliser un téléphone qu’il allume seulement lors de l’entretien. Ce téléphone recevra une alerte si la personne est testée positive plus tard, ce qui le convaincra de refuser le prêt.
Vu ces risques notamment, les experts ne s’accordent toujours pas sur l’outil à utiliser. La presse révèle même que plusieurs membres du groupe européen chargé de créer une appli de suivi des citoyens respectueuse de la vie privée ont quitté ce groupe, entre autres parce que l’outil envisagé à ce jour ne serait pas suffisamment sécurisé.
- Cette application est-elle nécessaire ? Cette question nous est (im)posée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui protège la vie privée et exige que toute ingérence dans ce droit fondamental soit non seulement utile mais aussi incontournable. Concrètement, si l’application ne permet pas l’anonymisation absolue et ne garantit pas qu’aucun détournement ne sera possible, alors, le suivi des citoyens constituera une intrusion illégitime dans leur vie privée. Cette application est-elle vraiment une solution miracle dont on ne peut pas se passer pour sortir du confinement ? Des raisons nous poussent à en douter lorsqu’on apprend, par exemple, qu’en l’absence de 60 % de participants, l’application ne fonctionnera pas. Or, près de 30 % de la population n’a pas de smartphone, en particulier parmi les personnes âgées (les plus à risque) et les enfants. Par ailleurs, ce type d’application suppose, pour fonctionner, que chacun puisse être testé. Mais alors, si chacun peut être testé, confinement et port obligatoire de masque ne permettraient-ils pas de se passer de cette application ? A cet égard, la solution espagnole est intéressante, qui consiste à donner à chaque personne testée positive dix « coupons prioritaires » permettant d’être testé, qu’elle peut distribuer aux dix personnes qu’elle se souvient avoir récemment croisées et donc peut-être infectées.
- Le public sera-t-il en mesure de donner un consentementréel ? Parmi les balises juridiques rappelées par la Commission européenne, figure le fait que les citoyens devront donner leur consentement libre et éclairé pour télécharger l’application, conformément à ce qu’exige le RGPD quand des données à caractère personnel sont utilisées. En pratique, cela sera-t-il possible ? On en doute. Sous la pression sociale et l’angoisse de la situation, ne risque-t-on pas de se sentir obligé de télécharger cette application ? Et à défaut d’être informé autant sur les risques de cet outil pour les libertés que sur les risques du covid pour la santé, chacun sera-t-il suffisamment éclairé sur les enjeux de l’outil ? D’aucuns arguent du fait qu’en cette période de confinement, on est déjà privé de nos libertés sans y avoir directement consenti. Certes. Mais nous voyons clairement de quelles libertés nous sommes privés. Nous en connaissons la raison. Et nous savons que c’est provisoire. Par contre, consentir à ce que les données sur nos déplacements et notre santé soient traitées par « on ne sait pas trop qui », « on ne sait pas trop comment », « on ne sait pas trop pour combien de temps » et « on ne sait pas trop pour quoi », c’est signer un pacte avec le diable et accepter le risque que la surveillance mise en place aujourd’hui perdurera demain.
- Nous engageons nous par-là dans une société de surveillance ? Ce n’est pas un secret, mais le politique ne s’en targue pas : il existe déjà, au sein de l’Etat, des outils de surveillance des individus. Ces outils, appelés outils de « profilage », surveillent les citoyens et ciblent, grâce à des algorithmes et au croisement de données détenues par les administrations (SPF Finances, ONEM, ONSS, pour ne citer qu’elles), les possibles fraudeurs, en matière fiscale et en matière sociale, pour intensifier le contrôle à leur égard. La traque contre les chômeurs au départ des chiffres de leur consommation de gaz et d’électricité, mise en place en 2014, en est une concrétisation éloquente. Si, à présent, la collecte des données de santé et de déplacement est organisée, ne permet-on pas aux partisans de ces techniques de surveillance de renforcer cette tendance ? La réponse est quasiment apportée par le Ministre Koen Geens dans une interview qu’il a donnée à Francis Van de Woestyne (La Libre Belgique) ce week-end. A la question de savoir si le suivi numérique des citoyens ne risque pas de « ‘mordre’ sur les libertés individuelles », il répond : « On n’échappera pas à cette tendance internationale. Il faut être ouvert à la discussion ». Au moins, on sait à quoi s’en tenir…
- Peut-on croire à la philanthropie des GAFAM ? Google et Apple n’ont pas tardé à proposer leur aide. Et leur puissance de frappe est très séduisante, tant s’agissant de l’efficacité de leurs traitements des données que de leur capacité à stocker celles-ci. L’Etat n’a ni l’une ni l’autre. Au surplus, il est dirigé par des personnes qui n’ont pas l’expertise des spécialistes engagés par ces géants du net. Mais alors, ne sommes-nous pas en train de confier aux GAFAM les clés de la gestion de nos politiques de santé ? Aujourd’hui, les GAFAM se feront la main avec le covid. L’infrastructure sera créée et peaufinée, les algorithmes nourris et entraînés par cette masse de données. Et demain ? Il est à craindre que tout sera prêt pour proposer le même outil afin de lutter contre la grippe, la mononucléose, ou encore le sida.
Est-ce de cette société-là que nous voulons aujourd’hui ? La question mérite plus que jamais d’être posée.
« C’est une question de moyen », interview de Stéphanie Wattier, professeure de droit constitutionnel à Namur dans le Grand Débat LN24
Le Grand Débat LN24 du 6 novembre était dédié à la thématique des féminicides. Pour évoquer ce sujet, Joan Condijts recevait sur son plateau Barbara De Nayer, chef du service Jeunesse, Famille et Mœurs à la zone de police Bruxelles-Ouest, Stéphanie Wattier, professeure de droit constitutionnel à Namur, Valérie Lootvoet, directrice de l’Université des femmes et Josiane Coruzzi de l'asbl Solidarité Femmes et Refuge pour femmes battues.
Manuel de droit pénal général de Nathalie Colette-Basecqz et Noémie Blaise. 4ème édition.
La quatrième édition du Manuel de droit pénal général de Nathalie Colette-Basecqz et Noémie Blaise vient de sortir chez Anthémis !
Le présent manuel a été rédigé dans une finalité essentiellement didactique et a pour principale ambition de présenter, de façon claire et structurée, les règles et principes qui régissent les incriminations et les peines, tout en les illustrant par plusieurs décisions de jurisprudence reprises in extenso. Les auteures se sont appuyées sur la méthode dite du case-study, mise en œuvre avec succès par les professeurs Christiane Hennau et Jacques Verhaegen dans leur précis de droit pénal général.
Le droit pénal est une matière qui ne cesse d’évoluer et de se transformer, sous une impulsion européenne et internationale. Par ailleurs, plusieurs lois récentes ont apporté un bon nombre de changements majeurs qui sont intégrés et commentés dans cette nouvelle édition.
L’ouvrage porte essentiellement sur l’analyse du livre premier du Code pénal (« Des infractions et de la répression en général »). L’intérêt des auteures envers les infractions de droit international pénal a conduit à ce que divers approfondissements y soient consacrés.
Cet ouvrage s’avérera également très utile aux praticiens qui, exerçant une profession dans le monde judiciaire ou dans d’autres domaines du droit, y trouveront des réponses à leurs questions. À cet égard, l’expérience que Nathalie Colette-Basecqz a acquise au barreau depuis 1992 l’a rendue particulièrement attentive à la confrontation de la théorie à la pratique.
Cette quatrième édition du manuel contient une mise à jour de la matière jusqu’au 1er juillet 2019. Outre les modifications apportées par les nouvelles législations, elle intègre de nombreuses décisions récentes venant illustrer les principes de droit pénal et leur évolution.
La protection des données à caractère personnel en Belgique
Un nouvel ouvrage de Cécile de Terwangne et Elise Degrave, avec la collaboration d'Antoine Delforge et Loïck Gérard, paru chez Politeia
La question de la protection des données personnelles est devenue cruciale dans la société d'aujourd'hui. Depuis mai 2018, le Règlement général sur la protection des données (RGPD) est entré en application avec grand bruit, générant nombre de questions et de craintes. Le législateur belge a adopté plusieurs textes venant compléter ce règlement européen et le mettre en œuvre en Belgique.
Le paysage juridique de la protection des données en Belgique qui découle de l'ensemble de ces nouveaux textes est donc modifié. C'est une évolution des règles à laquelle on a assisté, et non une révolution. Certains changements majeurs sont toutefois à souligner, tels que le remplacement de la Commission de la Protection de la Vie privée par l'Autorité de protection des données, le renforcement des droits des personnes sur qui on récolte des données, les amendes pouvant désormais être imposées aux responsables de traitement, les démarches et documents à mettre en place au sein des entreprises et des administrations.
L'ouvrage présente et analyse ce nouveau paysage belge de la protection des données reposant sur le RGPD ainsi que sur les textes nationaux votés en complément.
Déjà disponible à la bibliothèque de la Faculté de droit
Politeia vous offre la possibilité de consulter en accès libre les 20 premières pages de cet ouvrage : http://www.crid.be/pdf/public/protection.pdf